Lettre ouverte à Mme Costesseque

Mme Costesseque, Directrice adjointe à l’Insertion du département de l’Ariège,

Lors de notre « visite » en date du 4 janvier dans vos locaux nous avons eu le plaisir de converser avec vous. Par suite, le Conseil Départemental a certifié publiquement qu’il allait « accéder à nos demandes d’informations » (la Dépêche, 7/01/21). Mais « en même temps », les portes des « commissions de solidarité territoriale » (CST) se retrouvent fermées précipitamment. Pour raisons sanitaires apprend-on. Ceci ne manque pas de nous interroger. Le CD vient-il de prendre connaissance de la circulation du covid-19 ? Vos bureaux ne sont-ils soudainement plus assez grand pour pouvoir respecter les gestes-barrières lors de ces commissions ? Peut-être subissez-vous en ce moment une pénurie de gel hydro-alcoolique ? Un moment, nous avons pensé que les CSTs étaient annulées en présentiel afin de vous éviter de vous retrouver en présence de bénéficiaires accompagnés par des militant.e.s de notre collectif. En effet des rassemblements publics étaient prévus pour les prochaines commissions – ce dont vous avez probablement eu l’écho. Nous nous sommes dit que cette « solution » prise un peu dans l’urgence de votre part vous permettait à nouveau de mener votre « travail » à l’abri des regards et que peut-être, vos déclarations dans la Dépêche visaient-elles uniquement à vous donner bonne figure. Mais, rapidement, la raison nous est revenue, et nous nous sommes dit que les relents conspirationnistes avaient dû nous toucher nous aussi, qu’il fallait arrêter de voir le mal partout. Après tout, peut-être bien que le virus se loge dans vos locaux et que tout ça n’est fait que pour le bien des personnes.
Avant de rentrer dans « le vif du sujet » permettez nous encore de clarifier nos positionnements à propos des Commissions de Solidarité Territoriale. Les convocations en commissions nous semblent avant tout répondre à un objectif répressif (et non de « solidarité »), au travers duquel les bénéficiaires sont poussé·es à intérioriser l’idée qu’il·les sont responsables de leur précarité, qu’il·les sont un poids voir un fardeau pour la société, et qu’en conséquence il convient de les orienter quitte à les menacer de n’avoir plus aucun revenu.
Convaincus de l’inefficacité, du cynisme et de la violence de cette stratégie, nous considérons au contraire que le RSA peut établir un début de justice pour toutes les personnes que le système maintient dans la pauvreté. Pauvreté qui leur retire tout moyen de faire leurs choix. Nous sommes donc, à la manière d’autres associations, et à l’inverse de votre politique de « réinsertion forcée », pour l’instauration d’une solidarité inconditionnelle, c’est-à-dire pour un RSA sans surveillance rapprochée (suppression des CST, CER, et autres accompagnements obligatoires).
Si nous sommes conscient que cela n’est pas de votre ressort, vous êtes en revanche responsable de l'(in)validation des contrats d’insertion et des convocations en commission. De ce fait, vous êtes responsable des sanctions et de leurs conséquences désastreuses, morbides : situations d’extrême pauvreté, de malnutrition, de précarité sanitaire, de détresse, d’isolement, etc. Vous êtes aussi responsable des renoncements encouragés par ces procédures basées sur la menace : abandon de droits et découragement des personnes sur tous les plans.


Nos questions :


En premier lieu, nous aimerions savoir à combien de personnes a-t-on coupé les vivres en Ariège en 2020, en pleine crise sanitaire. Combien il y a eu de CST (pendant et en dehors des confinements) ? Et combien de sanctions ont été prononcées à leur suite ( combien de diminutions du RSA, de suspensions, de radiations) ?


Étant donné le risque de sanction qu’encourt l’allocataire lors des convocations en CST, peut-on encore véritablement parler de contrat « librement débattu » ? N’est-ce pas plutôt une forme de chantage, qui sert à forcer l’allocataire à accepter un contrat (CER) qui ne lui convient pas ? Celui-ci n’est-il pas censé être « librement débattu » ? Nous avons connaissance de cas de convocation en CST pour contrat invalide alors que ledit contrat n’est même pas encore établi ou finalisé avec l’allocataire… A nos yeux, vos méthodes vont à l’encontre de l’obligation de tenir « compte de la formation du bénéficiaire, de ses qualifications, de ses connaissances et compétences acquises au cours de ses expériences professionnelles, de sa situation personnelle et familiale, ainsi que de la situation du marché du travail local », puisque la menace de sanction est utilisée pour obliger le bénéficiaire à renoncer à ce qu’il fait, ce qu’il est. Tout au long des « entretiens », nombre d’allocataires sont poussés à l’échec, en se voyant fixer des objectifs intenables (pendant la pandémie : obligation de trouver un emploi alors que la moitié du pays est en « chômage partiel », ou d’augmenter son chiffre d’affaire), le tout de façon humiliante et infantilisante. Ces entretiens ont explicitement pour but une « sortie du rsa » rapide, et pas du tout « l’insertion » à moyen et long termes, avec donc un retour prévisible à la case « précaire ».


• Comment prenez-vous en compte la situation économique, dans le contexte actuel de crise sanitaire ? Celui-ci n’est-il pas « un motif légitime » qui explique qu’on n’arrive pas à trouver un emploi ou à augmenter son chiffre d’affaire ? Et comment se fait-il que partout en France on cherche à soutenir les activités mises à mal par l’urgence sanitaire (indemnités face aux conséquences du confinement, aides à la « relance » et au « rebond », etc..) mais que le Conseil Départemental de l’Ariège profite de la période pour exiger des personnes les moins favorisées de faire leurs preuves ?
• Comment pouvez-vous assurer aux allocataires du RSA qu’ils ne sont pas victimes d’une procédure arbitraire ? Quelles sont les règles applicables à tous ? Quels sont vos critères pour refuser ou accepter de valider un contrat d’insertion ? Quelles règles appliquez-vous dans les domaines suivants, cités pour exemples : projet de survie, de soutien familial, projet social et culturel local, projet agricole, artisanal ou culturel, etc..
• Que faites-vous pour permettre l’accès au RSA des personnes qui y ont droit, mais n’en font pas la demande, découragées par les démarches et le flicage qu’il implique (le non-recours au RSA est estimé entre 20 % et 30% en France) ? Ne craignez-vous pas que le report de responsabilité de la crise économique sur les allocataires – explicite lors des commissions et au cours des entretiens – multiplie ce taux de non-recours ? Est-ce qu’au moins vous essayez d’évaluer ce non-recours en Ariège ? Le prenez-vous en compte dans le Programme Départemental d’Insertion ou la Convention d’Appui à la Lutte contre la Pauvreté et d’Accès à l’Emploi (nous n’y avons trouvé aucune référence), afin de réfléchir à ses causes et aux moyens de lutter contre ?
• Qu’est-ce que votre sous-traitant ACOR est sensé faire exactement ? Cautionnez-vous l’injonction à sortir du dispositif RSA par tous les moyens, de façon culpabilisante, et sans prise en compte des situations et projets des situations et des personnes « accompagnées » ? Quelles sont les limites fixées à ACOR dans sa collaboration avec les patrons locaux, pour que les propositions d’emploi faites aux allocataires soient sérieuses (durables, adaptées aux possibilités, accompagnées de formations si besoin, etc.) ? Et comment vous assurez-vous des compétences des employés en charge des entretiens, pour accompagner les travailleurs·ses de toutes sortes, qui sont nombreux·ses aujourd’hui à devoir fournir un travail de pédagogie conséquent pour tenter de leur expliquer les réalités et contraintes de leurs domaines d’activités (notamment les agriculteurs·rices, les artistes, les auto-entrepreneurs·euses… ) ?


Comment expliquez-vous que le Conseil Départemental consacre de l’argent public à soutenir nombre de productions locales, et en saccage toute une partie en leur refusant aide et considération ?


Qu’est-ce que le Conseil Départemental entreprend pour s’assurer du maintien de l’accès au logement des personnes sanctionnées par les CST ? Et pour garantir la continuité de leur accès aux soins, étant donné que le droit à la CMU découle souvent du droit au RSA ? Et pour savoir ce qu’ils deviennent, une fois radiés, une fois leur emploi jetable terminé ?


Où vont exactement les sous de « l’insertion » ? Quels sont les montants alloués à la tenue des CST dans le département, à l’accompagnement proprement dit des allocataires, aux démarches menées en direction des entreprises, et enfin le montant alloué au Revenu de Solidarité Active versé aux allocataires. Quels moyens supplémentaires ont-ils été alloués à la solidarité et l’insertion dans le cadre de la crise sanitaire ? Et quelles perspectives d’emplois nouveaux, c’est-à-dire durables et intéressants, salariés ou non, le conseil général envisage-t-il de soutenir dans le cadre de « l’urgence écologique et climatique » ?


En espérant que vous saurez apporter des réponses à toutes ces interrogations, sans simplement vous réfugier derrière des articles de lois ou des « éléments de langage »…