Réinsertion ?! Plutôt chômeuse que contrôleur à la CAF

Le PIB s’effondre, les économistes prédisent des faillites en cascades, les recours aux aides alimentaires distribuées par les associations explosent. 900 000 chômeurs de plus en 2020, et le nombres de bénéficiaires du RSA qui augmente de 10%. Cette année, 1 millions de personnes de plus se retrouvent en dessous du seuil de pauvreté. La pandémie n’est pas seulement une crise sanitaire, c’est aussi une crise économique et sociale d’une ampleur inédite. Et pourtant, la politique d’humiliation et de stigmatisation des plus pauvres se poursuit, sans trêve ni complexe.

Malgré les cris d’alarmes des associations, et les files d’attentes qui s’allongent devant les resto du coeur, il n’y aura pas de revalorisation du RSA, puisque, nous dit Macron, cela découragerait les gens à retrouver du travail[1].

La même logique, aussi violente qu’absurde, perdure depuis longtemps : alors que n’importe quel plan de licenciement fait grimper les cours en bourse d’une entreprise, alors que le « progrès » est toujours plus synonyme de robotisation et d’automatisation, et donc de destruction d’emploi, les chomeur·euses et les RSA-istes sont inlassablement traité·es comme les principaux responsables de leur situation. De « conseille·res » en rendez-vous, c’est à nous de prouver notre motivation et nos efforts pour se « réinsérer ». Et, puisqu’il s’agit de « s’adapter à un contexte difficile », les « offres raisonnables d’emplois » qui nous sont imposées représentent bien souvent des perspectives de vie à peine plus enviables que les 500 balles que dispense le RSA. Sans compter qu’à l’absurdité des taches qu’on nous demande d’effectuer lorsque nous taffons, s’ajoute le coté dérisoires et nuisibles des marchandises qu’on nous demande de produire. En Ariège, nos décideurs fondaient leurs espoirs de création d’emplois sur les stations de ski et la sous-traitance aéronautique[2]… Lorsque l’on sait les ravages environnementaux qu’occasionnent ces secteurs économiques, on se dit que nos espoirs concernant l’avenir sont difficilement conciliables avec les leurs.

Qu’importe la multiplication des burn-out, des dépressions et autres problèmes de santé liés au travail, qu’importe les horaires, les salaires et les conditions de travail qu’on nous promets, nous devons nous réinsérer coûte que coûte. D’un coté, celles et ceux qui ont un emploi sont poussé·es à accepter n’importe quelles conditions de travail sous la menace de se retrouver au chômage ou au Rsa, de l’autre coté, chomeur·euses et RSA-istes sont menacé·es d’êtres radié·es si ils/elles rechignent à postuler pour les larbinages qui leurs sont proposés.

Car si l’accès au Rsa est un « droit », il s’accompagne de devoirs : celui de raconter sa vie et ses problèmes à des sortes de coachs, qui alternent entre condescendance et paternalisme; celui de participer à des « formations » pour apprendre à « embellir » son CV, à « bien présenter » à un entretien d’embauche, à connaître la « situation de l’emploi » dans la région… Celui de renoncer à ses activités lorsqu’elle ne sont pas suffisamment rentables. Le parcours du Rsa-iste oscille entre humiliations, perte de sens et insécurité.

Et lorsque nous ne courbons pas suffisamment l’échine, nous avons droit à un passage devant la Commission de Solidarité Territoriale (CST), sorte de procès pendant lequel nous aurons à justifier de notre situation, et qui se conclut bien souvent par une diminution du Rsa, sa suspension, voire la radiation.

« L’accompagnement personnalisé » auquel sont contraintes les personnes au Rsa est présenté comme une façon d’aider les gens dans la galère. En réalité, il est souvent vécu comme humiliant, intrusif et infantilisant. Des chercheur·euses sont même allé·es jusqu’à parler « d’instrument de torture morale », dénonçant une situation où « tout se passe comme un jeu de rôles dans un théâtre où l’on obligerait les allocataires à singer la recherche frénétique d’emploi alors qu’il n’y a pas d’emplois… »[3]

Et pour celles et ceux d’entres-nous qui se lassent de ce jeu de dupes, nous devons faire face à des « professionnel·les de la réinsertion » qui nous assènent, avec aplombs, que nous pouvons très bien « choisir » de renoncer aux aides sociales si le projet de vie qu’il·les nous suggèrent ne nous convient pas. Et, à force de ne plus supporter leur chantage et leur coup de pression, il·les parviennent à en convaincre beaucoup : 30 % des personnes pouvant prétendre au RSA ne le réclament pas[4]. Les minima sociaux devraient être un droit inconditionnel: celui de vivre décemment dans une société qui n’en fini plus d’alléger les impôts des plus riches, et de subventionner les entreprises les plus dévastatrices, tant sur le plan environnemental qu’humain. Quant à « l’aide » à la réinsertion, elle ne devrait être rien d’autre qu’une aide: ni une contrainte humiliante, ni un chantage criminel.

S’organiser pour défendre ces droits – et en exiger d’autres – lorsqu’on est au chômage ou au Rsa est difficile. C’est pourtant nécessaire. Sortir de l’isolement, et se défendre collectivement face à l’administration, sa bureaucratie, sa violence et son arbitraire, permet souvent d’infléchir le rapport de force, et parfois de le renverser.


1. Entretien télévisé du 14 octobre 2020 : « plus on augmente de manière unilatérale tous nos minima sociaux – on ne les rebaisse jamais après – plus on rend difficile le retour à l’activité ».

2. Programme Département d’Insertion 2019-2021

3. B. Gomel et D. Méda, qui ont co-rédigés un rapport du centre d’études de l’emploi (CEE) intitulé « Le RSA, innovation ou réforme technocratique ? » (2011)

4. L’estimation varie selon les études. Le secours catholique évaluait le non-recours au Rsa à 40 % en 2016.